Le cénacle

Le cénacle de Shebacq trône sur les hauteurs de la Montagne d'Argent, tout au centre de la ville-état. Il domine Manguo, mais est entièrement à son service.
Ebarras et ses compagnons montaient avec difficulté les marches de ce lieu-dit où se concentraient tous les pouvoirs de la République. Ils étaient fatigués. Cette-nuit là, les écouteurs s'était approchés trop près d'eux.

- "Mon nom est Madide...", articula le premier sénateur, reconnaissable à sa cape d'argent et de pourpre.

Qekiko, bouche-bée, ne l'entendit même pas. Il tournait sur lui-même, regardant les fastes du palais central. Murs immenses, ogives gracieuses, sculptures de dentelle l'entouraient à profusion.

- "Et le votre?..."

Qekiko revint à lui, confus. Apparemment, Ebaras et Tumanu s'étaient déjà présentés.

- "Euh... Qekiko, du peuple des Mikeko..."

L'homme lui fit un signe de tête en souriant.

- "Asseyez-vous donc, mes amis. Notre conversation risque d'être longue..."

Les trois compagnons et les dix sénateurs prirent place, couchés sur le côté, sur les lits de conversation aux coussins d'or.

- "Les Ecouteurs nous entourent..." dit pensivement Madide.
- "Nous en avons rencontré un hier soir", dit Tumanu. "Qekiko aurait pu y passer.."

Le premier sénateur s'assombrit.

- "Nous aurons besoin de vous, Maître Ebaras, et de votre puissance pour les abattre!"
- "Je crains que ce ne soit impossible..."
- "Comment?" Le visage de Madide s'était empourpré sous l'affront.
- "Ce n'est pas ce que je voulais dire", articula Ebaras. "Je ne vous refuse pas mon aide. Mais elle est plus dangereuse qu'autre chose..."
- "Que voulez-vous dire par là?"
- "Les Ecouteurs se nourrissent des mots des Maîtres. Mes invocations leur permettraient seulement de se développer beaucoup plus vite!"

Les visages des sénateurs étaient consternés. Leurs espoirs de lutte s'effondraient.

- "Mais il y a une solution!" s'écria comiquement Qekiko, plein d'enthousiasme." Tumanu leur résiste!"

Les sénateurs tournèrent un visage incompréhensif vers Tumanu. Elle sourit.

- "Je suis des Hauts Sommets", dit-elle. "Je communique essentiellement en méta-transmission. Ils ne peuvent rien pour moi quand je suis sur ce mode-là."
- "Et son feu les brûle!" , s'écria Qekiko.
- "C'est vrai," sourit-elle. "Là-haut, là où la pointe extrême de la pyramide agit comme un catalyseur, nous accumulons l'énergie des astres. Elle nous permet la métatransmission. Elle nous transcende et nous nourrit. Et en cas de danger, nous pouvons la propulser sous forme de flamme intense. Hier soir, l'Ecouteur n'y a pas résisté."

Les sénateurs se consultèrent un instant, puis revinrent vers le groupe d'amis.

- "Pouvez-vous vous rendre à la Pointe Extrême? Pouvez-vous y trouver de quoi nous défendre?"

Ebaras baissa les yeux avec un soupir.

- "Les Maître-Mots sont au service du cénacle de Shebacq. Nous irons."

Qekiko avait quitté à regret le palace et ses rafraîchissements délicieux. Ils redescendaient maintenant les milliers de marches de la Montagne d'Argent, pensifs. Qekiko se plaignait :

- "Ne me dit pas qu'ils n'ont pas d'ascenseur, par derrière. C'est juste pour nous impressionner..."

Ses petits jambes trottinaient tant bien que mal. Ebaras murmura :

- "Nous irons, certes. Ce ne sont que deux mille lieues de plus. Mais pour trouver de quoi défendre Manguo..."
- "Nous trouverons", lui sourit Tumanu. "Nous trouverons. Il n'y a qu'une chose qui m'inquiète vraiment..."
- "Quoi?", dit Qekiko, aussitôt inquiété.
- "La Pointe Extrême, c'est le monde de l'énergie astrale, et du feu dévorant..."
- "Ca, on l'a bien compris", répondit, agacé, Qekiko. "Et alors?"
- "C'est aussi le monde des dragons..."

En ravalant sa salive, Qekiko buta en descendant la dernière marche, mais réussit à rétablir son équilibre. Ils repartirent vers le Lexikon.

A quelques mètres, caché derrière un étal de poudres médicinales, se trouvait le mercenaire Ravanor, ce petit blond à la laide queue de cheval. L'homme les observait. Dès qu'il fut sûr de leur chemin, il partit en courant.