dimanche, septembre 17, 2006

Rencontre

Ce soir-là, Ebaras se coucha épuisé. Toute sa puissance était passée dans les flux de confiance et d'énergie qu'il avait essayé de communiquer aux victimes des Ecouteurs.

Allongé sur le châlit, drapé dans sa cape, Ebaras était pâle et ne semblait presque plus respirer.
Tumanu et Qeiko, assis en tailleur sur le plancher, regardaient le feu.

- "Il ne nous a rien dit", murmura Tumanu, désolée.
- "Tout ce qu'on sait, c'est que ceux qui ont parlé aux Ecouteurs ne sont pas en bon état..." , rajouta Qeiko.
- "Des légumes..."

Un long silence s'établit. Tumanu pouvait continuer à communiquer directement par métatransmission. C'est ainsi qu'elle s'adressa soudain à Qeiko :

- "Attention. Surtout ne dit rien!"

Qeiko rouvrit les yeux, qu'il avait plissés en fixant le feu. Il la regarda d'un air interrogateur.

- "Ecoute! Il se passe quelque chose à côté!"

Qeiko avait l'oreille très fine, comme tous les gens de son peuple. Il entendit, venant de la chambre d'à côté, une sorte de murmure constant. Quelqu'un parlait, monologuait, et ne semblait plus pouvoir s'arrêter.

Tumanu lui fit signe. Elle s'approchait d'une fente de la cloison de planches disjointes.

- "Regarde ça!"

Les deux compagnons s'étaient collés l'un contre l'autre, et fixaient le spectacle terrifiant qui se déroulait de l'autre côté.

L'homme, un marchand de tissu d'Elasil qu'ils avaient vu plusieurs fois dîner dans la salle du bas, fixait d'un oeil exorbité une sorte de spectre doré à forme vaguement humaine.
ll parlait, parlait, racontait sa vie dans tous ses détails. Tout y passait, de son enfance à ses secrets les plus cachés. Il s'y épuisait.

Il tomba soudain à genoux, et la forme fantomatique placée en face de lui sembla s'épaissir, et étouffer un léger rire. L'homme parlait toujours, comme s'il avait ânnoné un vieux livre aux lettres à moitié effacées. Il s'affaissait de plus en plus sur lui-même.

Tumanu saisit soudain Qeiko et le baillonna rapidement avec son écharpe. Il n'eut pas le temps de laisser echapper un son. Elle restait toujours en mode de métatransmission

- "Viens", lui souffla-t-elle mentalement, "allons-y, par les Dieux de la pointe!"

Qeiko s'arma de tout son courage et sortit ses ongles pointus, habituellement cachés sous son poil doux. Les yeux de Tumanu brûlaient.

Un fracas épouvantable se produisit quand ils ouvrirent la porte de la chambre voisine avec violence. L'Ecouteur se retourna d'un coup : ils se trouvaient, au sein du halo doré qui l'entourait, face à un spectacle horrible.
L'être semblait à moitié achevé, intestins apparents sur un squelette déjà terminé.

- "Et voilà mon histoire..." , affirma dans un dernier souffle l'homme à terre, maintenant prostré.

Ces derniers mots semblèrent conforter l'apparence du semi-spectre, achevant sa structure abdominale.
Il n'était néanmoins encore qu'un horrible mélange de chair et d'os.

Quand Tumanu et Qeiko chargérent, l'Ecouteur sembla hésiter un instant, puis s'aplatit et glissa sans effort dans la fente d'un placard ouvert.
Tumanu, déchaînée, l'ouvrit dans un claquement de bois brisé.

- "Plus rien!", dit Qeiko, son baillon abaissé."Va savoir où il est passé..."

Les compagnons firent le tour de la chambre : aucun indice. Seules, les affaires du marchand, son manteau, sa bourse. Et le corps affalé sur le plancher.

Qeiko et Tumanu retournèrent, penauds, dans le chambre. Ebaras, malgré le bruit, ne s'était pas réveillé.

- "Dis, pourquoi tu m'avais baillonné?", dis Qeiko qui n'avait pas compris la funeste tâche à laquelle se livrait l'Ecouteur. "Tu en as marre que je te parle?".

Tumanu le regarda avec tendresse.

"Non, bien sûr... Tu as vu comme il a vidé l'homme de son contenu? Simplement en le faisant parler... C'était pour que tu ne dises rien. Moi, de toutes façons, j'étais en métatransmission."

- "Mais pourquoi il a fait ça? A quoi ça lui sert?"

Tumanu fixa Qeiko de ses yeux brûlants.

- "Tu as mal vu à travers la fente. Il a vidé l'homme de ses mots. Et cela lui a donné un corps. Il s'est construit au fur et à mesure..."

Tumanu s'enfonça dans un silence lourd, puis releva un front soucieux vers Qeiko.

- "Quand il est parti, il n'était pas terminé. Il va chercher quelqu'un d'autre. Tenons-nous sur nos gardes."

Et, se penchant sur le petit homme, Tumanu lui remit doucement son baillon.

- "Dors", lui dit-elle,"mais surtout n'enlève pas cela..."


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