samedi, septembre 02, 2006

Manguo

A plat ventre sur le grand châlit commun de la chambre, Qekiko regarda Tumanu et Ebaras se débarasser de leurs vêtements de route. Lui, il n'en avait pas besoin : sa douce fourrure lui servait d'habit.
Le cadre du lit traversait la chambre de part en part. Il aurait pu recevoir dix personnes. Il était recouvert de paille fraîche, et la fille d'étage y avait ajouté une poignée de menthe. Ca sentait bon.

- "Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'Ecouteurs?" demanda le bavard Mikeko.
- "Je n'en sais rien", répondirent de concert Tumanu et Ebaras.
- "Ils nous ont laissé entrer en ville bien facilement, pour des gens inquiets...". Qekiko continuait son discours.
- "C'est à cause de ma cape", dit Ebaras.

Qekiko le regarda d'un oeil étonné :
- "Qu'est-ce qu'elle a, ta cape?"
- " C'est une cape d'Elasil. Elasil, la ville des Tisseurs Magiciens. Son tissu accroche et retient les mots. Il n'y a que les Maître-Mots qui puissent la porter..."
- "Et alors?"

D'un air résigné, Ebaras commença ses explications :

- "Manguo est une ville-état. Une ville monstrueusement grande, qui occupe en grande partie le tiers supérieur de notre planète-pyramide Hulari: les journées y sont plus longues, ou bien plus courtes selon les saisons, que dans les régions tempérées du centre, ou si chaudes de la base."

Qekiko le regardait d'un oeil morne :

- "Quel rapport avec ta cape?"
- "J'y viens," dit Ebaras. "En période d'été, comme en ce moment, l'activité est incessante à Manguo. Les nuits blanches s'enchaînent dans le lucre et la fête. C'est la période faste, qui va durer le temps de la croissance d'un Mikeko. Mais l'hiver, va venir d'un seul coup, inverser le sablier. Quelques heures de jour seulement, pendant des dizaines d'années."

Qekiko fronçait les sourcils, ses petites oreilles rondes écartées sur le côté.

- "Attends, attends!" dit Ebaras. "Je t'explique! L'hiver, Manguo a un énorme besoin d'énergie pour maintenir son niveau d'activité. Tant en termes de lumière qu'en termes de chaleur. Elle utilise depuis plusieurs siècles l'énergie âmuelle, pompée directement dans l'Anneau des Dieux, très loin en aval."

"C'est cette énergie divine, faite d'un mélange d'âmes et de mots, qui alimente l'ensemble de la cité. C'est une énergie sauvage aussi, qui demande à ses consommateurs un respect constant pour sa nature spirituelle.
Il faut lui conserver sa dignité.
Ou elle pourrait se fâcher. Déborder les murs de containement. Avaler le monde vivant. Seuls les Maître-Mots savent la contrôler sans risque..."

Qekiko regardait Ebaras d'un air légèrement effrayé. Au pays des Mikeko, on s'éclairait à la bougie.


- "C'est pour cela que nous avons si facilement trouvé gite et couvert dans la République de Manguo. Mon entrée, par la grande porte, ne m'a coûté que deux mots, bien choisis il faut dire. Les gardes ont vu ma cape d'Elasil.Ils savent que je suis un Maître-Mot."

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